vendredi 25 février 2011

#11

Retourné du ravissement onirique, je suis toujours perdu entre pensées et mots, chiens enragés. Entre Oum Kalthoum rajeunie qui chante dans un vidéoclip ; la voiture où je m’entasse avec mes frères pour m’embarquer dans une nouvelle sortie à vitesse astronomique ; J qui s’allonge devant moi et que je m’apprête à sodomiser tout en parlant de goûts musicaux. M’arrive à la vue de cette dernière scène, la figure de la lettre o. Un anneau qui entoure mon sexe et lui promet une nouvelle peau. Je pense à Ibn Arabi copulant avec les lettres, cherchant le Latin pour trouver l’anus. Heidegger pouvait-il penser au quadriparti sans la lettre o ? Le plaisir que j’ai à sodomiser est typiquement francophone. (Je me demande d’ailleurs si je pourrais le faire en Arabe.) Ainsi mon rapport à la littérature (jouissance des litières et des ratures) se constitue à partir de mon rapport au Français, à travers un coït anal, de derrière.
La langue arabe nous offre le mot Adab. Des autorités ont décidé de lui donner le statut de littérature. Chose qui défigure les deux mondes, et les prive de toutes leurs richesses. Adab est un terme, de manière constitutive et structurelle, « moral » ; lié à l’idée du bien, à l’agir-comme-il-faut. Une finesse de langue, politesse, pédagogie.
Cependant, dans la danse des significations et leur orgie qui caractérisent les racines des termes de cette langue, se trouve lié à Adab un sens intéressant : Ma’doubah. Banquet. Repas hospitalier. L'écriture en langue arabe serait-elle imprégnée d’abord par ce dernier sens ? Ma boulimie l’est en tout cas.

jeudi 24 février 2011

#10

Les visages se sculptent. Je reviens aux escaliers de l’immeuble. Je m’asseyais souvent sur la marche à côté du carreau au verre cassé. Et je laissais le courant d’air me tenir tête, en jetant un regard sur le terrain vert. Terrain dévasté qui me revient discrètement à chaque fois que je regarde Stalker de Tarkovski. Derrière l’immeuble c’était « la zone ». Lieu mythique et interdit (à l’enfant). « C’est sale ! » disait-on. L’endroit est infesté de déchets. Il y a en effet les quatre décharges où aboutissent les conduits de poubelles de tous les appartements. Et tous les restes de vie des habitants, tous leurs sacrifices, toutes leurs histoires étaient entassées là-bas. La fin de journée arrivait l’éboueur vénéré et emporte le péché du monde à la benne tasseuse.
Je pouvais rester des heures à braver l’air et son odeur, juste pour regarder ce vert irrésistible. L’odeur portait elle aussi des secrets. Je pouvais distinguer les restes du thé de la veille. Mais je n’arrivais certainement pas à la maitrise du père T (l’éboueur). C’était un fin dialecticien-matérialiste. Il avait classé les ménages de l’immeuble en catégories selon leurs restes. Les bourgeois ; les « campagnards » ; les nouveaux riches ; les « pauvres fonctionnaires » ; …etc. Et faisait ses requêtes de charité le jour de l’Aïd selon sa classification. La « zone » était son territoire. Il nous chassait à chaque fois que nous essayions de nous approcher.
A propos, c’est en essayant d’aller à la « zone » que j’ai noué mes premières amitiés avec les voisins. L’un des premiers « nous » dans lequel je me suis fondu, avec plus ou moins de plaisir. Une certaine jouissance en tout cas. Un « nous » pour l’aventure. Pour aller du côté des déchets, pour chercher les restes de l’autre et constituer un moi.

L’écriture est cela. Peut-être.

jeudi 17 février 2011

#9



Le « cabanon » (ou « cabano » prononcé dans un idiome familial) était notre maison de vacances. Il se situait dans une sorte de camping colonisé, décolonisé, recolonisé. Stigmatisé par toutes les appropriations dans ses noms « propres » : roi juif, ou pin maritime. Le lieu donnait forme à tous ces désirs d’établissement qui n’arrivent qu’à être de passage.
Le lieu qui abrite mon enfance désormais. L’abrite en tant qu’ère toujours à venir à travers les souvenirs et les mots. Ceux-là qui portent déchirement entre plusieurs langues et idiomes. Et qui sont pleins de l’histoire d’une colonie (elle ne se réduit plus à une colonie de vacances, mais laisse entendre le bruissement de paroles perdues).
La forêt de pin tapissée d’aiguilles jumelées et de pommes en grenades nous appelait tous les jours à marcher sur le chemin qui la pénètre, et s’introduire à sa majesté. J’accompagnais souvent ma grand-mère dans sa promenade quotidienne, en fin de journée, quand le climat devient plus clément. « Qu’a-t-elle la forêt à se refrogner ? En elle, il y a une singe nue ». Cet air qu’elle fredonnait clandestinement en le parsemant de ses sourires tantôt gênés tantôt joyeux et cyniques me faisait rêver. Hymne d’une liberté future où la singe aurait le luxe de voler et d’exhiber son cul aux vents marins au dessus et malgré les pins centenaires.
Retournés au « cabano », les bougies s’allumaient et entamaient leur spectacle de lumière et de flammes dansantes. C’était là où j’avais appris à habiter et être dans le monde. C’est là où j’apprends toujours qu’une terre natale ne peut être qu’un lieu de passage. Maison de vacances, là où les vacances ne signifient rien d’autre qu’une manière d’habiter sans persévérance. Là où la colonie obéit à la souveraineté du temps, s’installe et s’en va au moment venu.


p.s. : Pris par une nostalgie tout de même. Je suis allé chercher sur internet quelques vieilles images de ce lieu. J’ai trouvé une vidéo venue d’un autre temps, d’un autre passé, d’une autre mémoire. Toutefois, elle m’appelait à se l’approprier. Ou plutôt elle s’est appropriée de moi. Je lui fais place.
http://www.youtube.com/watch?v=k0Tiv7wRFcY

samedi 12 février 2011

#8

On a « découvert » ma myopie quand j’avais sept ans. Un médecin vint à l’école pour nous examiner, comme on examine le bétail avant la fête du sacrifice. Nous sautillions, petits agneaux, excités à l’idée de déchiffrer les hiéroglyphes sur le tableau dressé au fond de la classe transformée ce jour là en bloc de visites médicales. Le géant blanc me mît sur un tabouret, et me demanda de regarder devant… Je n’arrivais pas à trouver de quel côté était l’ouverture des petits E renversés. Je ne voyais que des points noirs éparpillés.
Commença alors une nouvelle existence pour moi. Je voyais le monde désormais à travers les lunettes. Je me souviens de premiers moments (des premiers jours). Une terre convexe. Des murs qui se balancent. Des proches qui s’éloignent. Et cette impression angoissante et jouissive en même temps, que tout est plus petit qu’auparavant.
Commença aussi un nouveau rapport aux autres. J’étais devenu « le porteur de lunettes ». Cet être différent : Cyborg. Forcément intelligent ou studieux. Forcément timide. Forcément introverti et maladroit.
Les jours passèrent et la prothèse devint une partie de moi. Devint moi-même. Le geste de porter les lunettes à mes yeux au réveil. Ou celui de les ajuster sur mon nez. Ne sont maintenant que des réflexes naturels (naturalisés), comme manger ou cracher.
Il m’arrive cependant d’enlever mes lunettes parfois, et de regarder le monde autrement : peint à coups de pinceau plus vagues, plus mystiques. Des visages qui ressemblent plus à des crânes. Et des taches jaunes et blanches en guise de lumières de ville.

vendredi 11 février 2011

#7

Les cris de victoire retentissent en Égypte et dans le monde. Réseaux d’informations qui se performent dans la rue en tant que « peuples » arrivent à faire basculer les systèmes politiques et policiers. Une nouvelle relation se crée. Ce n’est plus une idée de nation ou communauté religieuse, ni celle, plus scientifique et matérialiste, de classe. Mais, principalement, une circulation et propagation fulgurantes d’informations qui font effectuer des « peuples ». Ces nouveaux peuples qui n’appartiennent plus à la terre, mais naviguent déjà dans les flots des informations télé-communiquées. Peut-être que l’essence de la technique se montre dans ces éclairs de l’histoire et montre avec elle de nouvelles possibilité d’être les uns avec les autres. Peut-être qu’une nouvelle essence de ce que je suis se forme par bonds ou sauts. Peut-être…
Mon séjour change de site habituel. Mon habitude déménage. Je retrouve un monde pour ma langue nomade. Sur terre j’étais sommé d’être présent à l’indicatif. Je devais indiquer où je me tiens en disant, en osant dire : Je suis ! J’ai quitté la terre…
Les cris de révolution ne se présentent plus. Mais arrivent ! Mais tombent comme des milliers d’apocalypses. Des milliers de jugements derniers.
J’ai quitté la terre… Et le temps de dire moi, je suis déjà ailleurs. Projeté de lien en lien. Tissant texte sur texte. Je me livre à mon être, dévasté et retrouvé. A mon temps qui, désormais, ne cesse plus de venir comme un orage à l’horizon. Brandissant ses éclairs et envoyant ses brises annonciatrices.
J’ai quitté la terre… Je porte un masque comme les autres. Un masque qui devient visage. Je dessine sur lui parfois des grimaces : des traits schématiques : émoticônes ! Une langue que je croyais morte et disparue à jamais fait retour. Une langue sans voix. Consonantique et pleine de coins. (Arabe du coin : pléonasme ?). Politique. Ontologie. Topologie. Théologie. Économie. Tout est proie au déluge qui déloge l’être de sa cachette. Cela nous n’avons pu le faire même en le provoquant quand nous étions sur terre.

lundi 7 février 2011

#6

J’ai pris l’habitude dernièrement de ne pas répondre aux numéros masqués : aux appels inconnus. Il faudra que ça change. Mais tant que je « suppose » plus ou moins qui m’appelle en cachant son numéro, je ne réponds pas. Cela fait plusieurs jours qu’une fille que je ne désire pas voir m’appelle et demande avec acharnement à être « mon amie » sur Facebook. Hier encore, le téléphone a sonné en affichant son appel (numéro masqué évidemment).
La nuit, lieu d’où l’on ne peut s’enfuir, elle m’est venue en rêve. Elle me demandait des explications (et je dois souvent rendre des comptes en rêve). J’ai perdu là toutes les raisons que j’ai dû avancer. A imaginer que la raison ne me vient qu’en rêve, je préfère penser qu’elle est ainsi suffisante.
Dans l’amalgame, je devais aussi sauver un petit voyou, et le réconcilier avec son entourage. Cela me tenait beaucoup à cœur apparemment. Même si le jeune homme était vivement entêté, et finissait souvent par « foutre en l’air » tout ce que j’essayais de construire. Cependant il m’était proche. D’une proximité étrange toutefois. On dirait mon écriture !
Ce voyou jouait, et jouissait, de m’obliger de répondre à sa place. De réduire toutes mes paroles à des excuses pour lui. Mais pendant que mes paroles sont là pour répondre ; lui, il est déjà ailleurs entrain d’aggraver la situation, ou de créer de nouveaux problèmes. Ma réponse vient toujours très en retard, et n’arrive jamais à boucler la boucle, et recevoir pleinement une seule excuse.
Quelle est donc cette distance qui nous sépare ? Mon petit voyou et moi avec mes demandes d’excuses pour lui et mes réponses à sa place ? Quelle distance sépare l’écriture et la confession ?

#5

Il y a temps !
Temps qui appelle : à la décision, à la résolution, à la résurrection, à la révolution. Des signes s’allument et font émerger les prémices d’un nouveau monde. Promesse pour mon être de changer encore. Et de renaître autrement dans un autre monde. Promesse d’une autre mort possible, d’un autre impossible.
Les souvenirs me viennent avec nouveaux visages. Me montrent des dents brillantes, pointues par moments, souriantes aussi. S’écartent souvent et font apparaitre des langues ancestrales qui ne signifient plus rien, mais lancent des youyous de joie et de fête. Des langues monstrueuses, terrifiantes, et amicales. Plus longues et tendues que tout phallus, excédant tout signifiant, et au-delà de toute matrice. Les langues impossibles ! Celles qui sentent la chair brûlée au feu du festin. Les langues disparaissent aussi soudainement qu’elles sont apparues derrières les dents qui se rejoignent pour sourire ou menacer. A cette distance je ne peux pas savoir. D’ailleurs, est-ce que ce sont vraiment des visages ? S’approchent-ils ou ils s’éloignent ? Se déplacent-ils déjà ? Sont-ils placés quelque part ? Où sont mes souvenirs ?
Qu’importe ! En fête comme en guerre, on se soucie moins de ce qu’on a ou ce qu’on reçoit, que de ce qu’on abandonne. Le butin n’est pas prise, c’est le prix de l’abandon de soi.