mercredi 20 avril 2011

#12

Après tant de rues cousues et recousues. Après tant de baisers subtilisés à de belles-filles. Après tant de clichés ravis aux coins ombrés… Voilà que l’insomnie arrive !
Et te voilà encore allongé, yeux écarquillés, oreilles aux aguets, sens tendus, fixant du regard le lustre amputé d’un bras. Le ronflement continu de l’ordinateur en veille te tient compagnie. Tu ressens le poids du lustre suspendu. Comme s’il était attaché autour de ton cou. Le bras manquant envahit ton esprit. Tu imagines des scènes de guerres impitoyablement cruelles. Des cadavres démembrés, éparpillés, déchiquetés. Des canons tuberculeux qui ne cessent de cracher le feu. Des tanks comme des larves de sauterelles, rasant la terre à leur passage… et puis non ! Le sommeil ne vient pas. Les scènes de guerre n’aident pas… Tu vois le mur. Deux taches de lumière se distinguent. Lumière jaunâtre qui se faufile des deux trous du rideau. Tu te rends compte qu’elles ressemblent à des yeux. Des yeux de femme. Des yeux aux pupilles dilatées. C’est une fille qui te regarde alors que tu la pénètres. Elle a dix neuf ans. Plutôt dix sept. Sa bouche se serre comme son vagin autour de ton sexe. Elle te fixe du regard. Tu n’oses rien dire. Les poils de son aine te picotent. Tu pousses. Tu essaies de respirer lentement… Non ! Non ! Ne pense pas à cela. Ça t’excite et le sommeil est désormais loin de tes paupières. Tu as l’envie d’allumer la lumière et de lire un peu. Mais quoi ? Tu penses au livre que tu lisais la veille. C’était de Heidegger ? « De l’essence de la vérité » ? A propos ! Alèthéia, n’est-ce pas comme l’insomnie ? A-lèthéia : dé-couvrement : in-somnie… La vérité est l’épreuve d’un sommeil suspendu…Dis-donc, c’est pesant ! Non ! Ce n’est pas pesant : le sommeil est pesant. Mais l’insomnie est en quelque sorte la suspension de la pesanteur. Une sorte d’apesanteur dans le temps et dans l’espace. Un flottement dans le vide. Et contrairement à ce que tu peux penser. Ce n’est pas agréable. C’est une légèreté angoissante. Qui t’oblige à t’ouvrir au monde qui se retire. Tu cherches donc le poids. Une lourdeur. Une attraction. Tu cherches dans ton imaginaire. Qu’est-ce qui t’attire ? Pourquoi la terre exerce une attraction ?
« - Parce qu’elle ne se pose pas de questions comme toi »
Comment ne pas poser de questions ? Alors il faut arrêter de désirer ? Mais si on arrête de désirer le sommeil …
« - Tu te poses toujours des question… »
Oui ! Mais comment ne pas poser de questions ? (tu sais c’est un cercle vicieux)
Un cercle !? Un mouvement circulaire. Presque machinal. Qui se répète en s’auto-renvoyant un mouvement perpétuel. Des pignons qui tournent en se transmettant des forces… pour faire tourner une fois un pignon P2 d’un diamètre double du pignon P1, il faut que ce dernier tourne deux fois. P2 en un tour fera tourner P1 deux fois… Tu peux joindre à P1 un bras de fer sur une raille qui va et vient selon les mouvements rotatifs de P1. L’autre extrémité du bras peut-être attachée à une scie…
« - Tes paupières s’alourdissent. »
La scie peut trancher le bois... La scie coupe le bois en morceaux de même taille
« - Il fait noir. Tu n’entends plus le ventilateur »
Les pignons tournent toujours…toujours…Alèthéia…La scie va et vient…Elle coupe…Les yeux… te regardent… Le piston qui fait marcher la machine…
« - Tu dors »
Le bras de fer… pénètre… le lustre… larves… rasent le sexe…
« - Tu dors »

vendredi 25 février 2011

#11

Retourné du ravissement onirique, je suis toujours perdu entre pensées et mots, chiens enragés. Entre Oum Kalthoum rajeunie qui chante dans un vidéoclip ; la voiture où je m’entasse avec mes frères pour m’embarquer dans une nouvelle sortie à vitesse astronomique ; J qui s’allonge devant moi et que je m’apprête à sodomiser tout en parlant de goûts musicaux. M’arrive à la vue de cette dernière scène, la figure de la lettre o. Un anneau qui entoure mon sexe et lui promet une nouvelle peau. Je pense à Ibn Arabi copulant avec les lettres, cherchant le Latin pour trouver l’anus. Heidegger pouvait-il penser au quadriparti sans la lettre o ? Le plaisir que j’ai à sodomiser est typiquement francophone. (Je me demande d’ailleurs si je pourrais le faire en Arabe.) Ainsi mon rapport à la littérature (jouissance des litières et des ratures) se constitue à partir de mon rapport au Français, à travers un coït anal, de derrière.
La langue arabe nous offre le mot Adab. Des autorités ont décidé de lui donner le statut de littérature. Chose qui défigure les deux mondes, et les prive de toutes leurs richesses. Adab est un terme, de manière constitutive et structurelle, « moral » ; lié à l’idée du bien, à l’agir-comme-il-faut. Une finesse de langue, politesse, pédagogie.
Cependant, dans la danse des significations et leur orgie qui caractérisent les racines des termes de cette langue, se trouve lié à Adab un sens intéressant : Ma’doubah. Banquet. Repas hospitalier. L'écriture en langue arabe serait-elle imprégnée d’abord par ce dernier sens ? Ma boulimie l’est en tout cas.

jeudi 24 février 2011

#10

Les visages se sculptent. Je reviens aux escaliers de l’immeuble. Je m’asseyais souvent sur la marche à côté du carreau au verre cassé. Et je laissais le courant d’air me tenir tête, en jetant un regard sur le terrain vert. Terrain dévasté qui me revient discrètement à chaque fois que je regarde Stalker de Tarkovski. Derrière l’immeuble c’était « la zone ». Lieu mythique et interdit (à l’enfant). « C’est sale ! » disait-on. L’endroit est infesté de déchets. Il y a en effet les quatre décharges où aboutissent les conduits de poubelles de tous les appartements. Et tous les restes de vie des habitants, tous leurs sacrifices, toutes leurs histoires étaient entassées là-bas. La fin de journée arrivait l’éboueur vénéré et emporte le péché du monde à la benne tasseuse.
Je pouvais rester des heures à braver l’air et son odeur, juste pour regarder ce vert irrésistible. L’odeur portait elle aussi des secrets. Je pouvais distinguer les restes du thé de la veille. Mais je n’arrivais certainement pas à la maitrise du père T (l’éboueur). C’était un fin dialecticien-matérialiste. Il avait classé les ménages de l’immeuble en catégories selon leurs restes. Les bourgeois ; les « campagnards » ; les nouveaux riches ; les « pauvres fonctionnaires » ; …etc. Et faisait ses requêtes de charité le jour de l’Aïd selon sa classification. La « zone » était son territoire. Il nous chassait à chaque fois que nous essayions de nous approcher.
A propos, c’est en essayant d’aller à la « zone » que j’ai noué mes premières amitiés avec les voisins. L’un des premiers « nous » dans lequel je me suis fondu, avec plus ou moins de plaisir. Une certaine jouissance en tout cas. Un « nous » pour l’aventure. Pour aller du côté des déchets, pour chercher les restes de l’autre et constituer un moi.

L’écriture est cela. Peut-être.

jeudi 17 février 2011

#9



Le « cabanon » (ou « cabano » prononcé dans un idiome familial) était notre maison de vacances. Il se situait dans une sorte de camping colonisé, décolonisé, recolonisé. Stigmatisé par toutes les appropriations dans ses noms « propres » : roi juif, ou pin maritime. Le lieu donnait forme à tous ces désirs d’établissement qui n’arrivent qu’à être de passage.
Le lieu qui abrite mon enfance désormais. L’abrite en tant qu’ère toujours à venir à travers les souvenirs et les mots. Ceux-là qui portent déchirement entre plusieurs langues et idiomes. Et qui sont pleins de l’histoire d’une colonie (elle ne se réduit plus à une colonie de vacances, mais laisse entendre le bruissement de paroles perdues).
La forêt de pin tapissée d’aiguilles jumelées et de pommes en grenades nous appelait tous les jours à marcher sur le chemin qui la pénètre, et s’introduire à sa majesté. J’accompagnais souvent ma grand-mère dans sa promenade quotidienne, en fin de journée, quand le climat devient plus clément. « Qu’a-t-elle la forêt à se refrogner ? En elle, il y a une singe nue ». Cet air qu’elle fredonnait clandestinement en le parsemant de ses sourires tantôt gênés tantôt joyeux et cyniques me faisait rêver. Hymne d’une liberté future où la singe aurait le luxe de voler et d’exhiber son cul aux vents marins au dessus et malgré les pins centenaires.
Retournés au « cabano », les bougies s’allumaient et entamaient leur spectacle de lumière et de flammes dansantes. C’était là où j’avais appris à habiter et être dans le monde. C’est là où j’apprends toujours qu’une terre natale ne peut être qu’un lieu de passage. Maison de vacances, là où les vacances ne signifient rien d’autre qu’une manière d’habiter sans persévérance. Là où la colonie obéit à la souveraineté du temps, s’installe et s’en va au moment venu.


p.s. : Pris par une nostalgie tout de même. Je suis allé chercher sur internet quelques vieilles images de ce lieu. J’ai trouvé une vidéo venue d’un autre temps, d’un autre passé, d’une autre mémoire. Toutefois, elle m’appelait à se l’approprier. Ou plutôt elle s’est appropriée de moi. Je lui fais place.
http://www.youtube.com/watch?v=k0Tiv7wRFcY

samedi 12 février 2011

#8

On a « découvert » ma myopie quand j’avais sept ans. Un médecin vint à l’école pour nous examiner, comme on examine le bétail avant la fête du sacrifice. Nous sautillions, petits agneaux, excités à l’idée de déchiffrer les hiéroglyphes sur le tableau dressé au fond de la classe transformée ce jour là en bloc de visites médicales. Le géant blanc me mît sur un tabouret, et me demanda de regarder devant… Je n’arrivais pas à trouver de quel côté était l’ouverture des petits E renversés. Je ne voyais que des points noirs éparpillés.
Commença alors une nouvelle existence pour moi. Je voyais le monde désormais à travers les lunettes. Je me souviens de premiers moments (des premiers jours). Une terre convexe. Des murs qui se balancent. Des proches qui s’éloignent. Et cette impression angoissante et jouissive en même temps, que tout est plus petit qu’auparavant.
Commença aussi un nouveau rapport aux autres. J’étais devenu « le porteur de lunettes ». Cet être différent : Cyborg. Forcément intelligent ou studieux. Forcément timide. Forcément introverti et maladroit.
Les jours passèrent et la prothèse devint une partie de moi. Devint moi-même. Le geste de porter les lunettes à mes yeux au réveil. Ou celui de les ajuster sur mon nez. Ne sont maintenant que des réflexes naturels (naturalisés), comme manger ou cracher.
Il m’arrive cependant d’enlever mes lunettes parfois, et de regarder le monde autrement : peint à coups de pinceau plus vagues, plus mystiques. Des visages qui ressemblent plus à des crânes. Et des taches jaunes et blanches en guise de lumières de ville.

vendredi 11 février 2011

#7

Les cris de victoire retentissent en Égypte et dans le monde. Réseaux d’informations qui se performent dans la rue en tant que « peuples » arrivent à faire basculer les systèmes politiques et policiers. Une nouvelle relation se crée. Ce n’est plus une idée de nation ou communauté religieuse, ni celle, plus scientifique et matérialiste, de classe. Mais, principalement, une circulation et propagation fulgurantes d’informations qui font effectuer des « peuples ». Ces nouveaux peuples qui n’appartiennent plus à la terre, mais naviguent déjà dans les flots des informations télé-communiquées. Peut-être que l’essence de la technique se montre dans ces éclairs de l’histoire et montre avec elle de nouvelles possibilité d’être les uns avec les autres. Peut-être qu’une nouvelle essence de ce que je suis se forme par bonds ou sauts. Peut-être…
Mon séjour change de site habituel. Mon habitude déménage. Je retrouve un monde pour ma langue nomade. Sur terre j’étais sommé d’être présent à l’indicatif. Je devais indiquer où je me tiens en disant, en osant dire : Je suis ! J’ai quitté la terre…
Les cris de révolution ne se présentent plus. Mais arrivent ! Mais tombent comme des milliers d’apocalypses. Des milliers de jugements derniers.
J’ai quitté la terre… Et le temps de dire moi, je suis déjà ailleurs. Projeté de lien en lien. Tissant texte sur texte. Je me livre à mon être, dévasté et retrouvé. A mon temps qui, désormais, ne cesse plus de venir comme un orage à l’horizon. Brandissant ses éclairs et envoyant ses brises annonciatrices.
J’ai quitté la terre… Je porte un masque comme les autres. Un masque qui devient visage. Je dessine sur lui parfois des grimaces : des traits schématiques : émoticônes ! Une langue que je croyais morte et disparue à jamais fait retour. Une langue sans voix. Consonantique et pleine de coins. (Arabe du coin : pléonasme ?). Politique. Ontologie. Topologie. Théologie. Économie. Tout est proie au déluge qui déloge l’être de sa cachette. Cela nous n’avons pu le faire même en le provoquant quand nous étions sur terre.

lundi 7 février 2011

#6

J’ai pris l’habitude dernièrement de ne pas répondre aux numéros masqués : aux appels inconnus. Il faudra que ça change. Mais tant que je « suppose » plus ou moins qui m’appelle en cachant son numéro, je ne réponds pas. Cela fait plusieurs jours qu’une fille que je ne désire pas voir m’appelle et demande avec acharnement à être « mon amie » sur Facebook. Hier encore, le téléphone a sonné en affichant son appel (numéro masqué évidemment).
La nuit, lieu d’où l’on ne peut s’enfuir, elle m’est venue en rêve. Elle me demandait des explications (et je dois souvent rendre des comptes en rêve). J’ai perdu là toutes les raisons que j’ai dû avancer. A imaginer que la raison ne me vient qu’en rêve, je préfère penser qu’elle est ainsi suffisante.
Dans l’amalgame, je devais aussi sauver un petit voyou, et le réconcilier avec son entourage. Cela me tenait beaucoup à cœur apparemment. Même si le jeune homme était vivement entêté, et finissait souvent par « foutre en l’air » tout ce que j’essayais de construire. Cependant il m’était proche. D’une proximité étrange toutefois. On dirait mon écriture !
Ce voyou jouait, et jouissait, de m’obliger de répondre à sa place. De réduire toutes mes paroles à des excuses pour lui. Mais pendant que mes paroles sont là pour répondre ; lui, il est déjà ailleurs entrain d’aggraver la situation, ou de créer de nouveaux problèmes. Ma réponse vient toujours très en retard, et n’arrive jamais à boucler la boucle, et recevoir pleinement une seule excuse.
Quelle est donc cette distance qui nous sépare ? Mon petit voyou et moi avec mes demandes d’excuses pour lui et mes réponses à sa place ? Quelle distance sépare l’écriture et la confession ?

#5

Il y a temps !
Temps qui appelle : à la décision, à la résolution, à la résurrection, à la révolution. Des signes s’allument et font émerger les prémices d’un nouveau monde. Promesse pour mon être de changer encore. Et de renaître autrement dans un autre monde. Promesse d’une autre mort possible, d’un autre impossible.
Les souvenirs me viennent avec nouveaux visages. Me montrent des dents brillantes, pointues par moments, souriantes aussi. S’écartent souvent et font apparaitre des langues ancestrales qui ne signifient plus rien, mais lancent des youyous de joie et de fête. Des langues monstrueuses, terrifiantes, et amicales. Plus longues et tendues que tout phallus, excédant tout signifiant, et au-delà de toute matrice. Les langues impossibles ! Celles qui sentent la chair brûlée au feu du festin. Les langues disparaissent aussi soudainement qu’elles sont apparues derrières les dents qui se rejoignent pour sourire ou menacer. A cette distance je ne peux pas savoir. D’ailleurs, est-ce que ce sont vraiment des visages ? S’approchent-ils ou ils s’éloignent ? Se déplacent-ils déjà ? Sont-ils placés quelque part ? Où sont mes souvenirs ?
Qu’importe ! En fête comme en guerre, on se soucie moins de ce qu’on a ou ce qu’on reçoit, que de ce qu’on abandonne. Le butin n’est pas prise, c’est le prix de l’abandon de soi.

mardi 25 janvier 2011

#4

(ce qui suit sont des notes écrites au réveil; livrées ici telles quelles. A l'état brut)

Il y a des rêves qui te donnent une sérénité inestimable !
Le rêve que j’ai fait cette nuit (ce matin), me le fait dire.
Première période ; (début du rêve) :
Je suis dans un état très dépressif, tendu, et très agressif. Dans le salon chez mes parents (le salon communément appelé « chambre des femmes »).A la télé on parle de Palestine. Je suis allongé. Dans la pièce il y a W et Z. Je suis très provocateur. Je prends position contre la Palestine. Une discussion tendue et polémique avec les deux. W s’approche de moi. Je me cache en me couchant sur mon ventre ou en enfonçant mon visage contre l'oreiller. Elle me dit qu’il faut que je m’explique sur mes opinions. Je me sens un peu coupable d’avoir irrité et provoqué les autres ainsi.
Deuxième période :
Dans une cuisine probablement, puisque s’étend devant moi un comptoir de céramique. Je trouve une bouteille de LeBeN (lait fermenté). Comme au Maroc le LeBeN arrive de la campagne directement, on le met dans des bouteilles de soda en plastique. Je le bois par gorgées successives. Entre Z. Je parle avec lui de Tarkovski et ses rapports aux cultures arabe et japonaise. Je lui raconte l’histoire d’un film où un artiste va au Japon ; je pense à Andrey Roublev.
Troisième période :
L me propose un voyage en voilier. Le jour du voyage, je cherche mes affaires. Je trouve le blouson dans le placard. C’est la chambre de mon enfance dans l’appartement du Maarif. Je ne trouve pas le bonnet par contre. Je sors en courant car je suis en retard. Dans le chemin, je croise A entrain de marcher et discuter avec quelqu’un d’autre. Il est revenu de son voyage. Mais je n’ai pas le temps. Je dois me dépêcher. Il fait nuit tout à coup, il pleut. Je cours dans les rues d’une ville nordique (Suède ou Finlande).
J’arrive au port avec D en même temps. Nous sommes pressés tous les deux. J’esquive les portes battantes avec elle. Elle me suit. On arrive enfin aux quais. Le voilier (bateau) n’est pas encore parti heureusement. On monte à bord. A' est là avec son père. Fêtant son anniversaire. D est déjà en maillot de bain. C’est le soleil de nouveau. Elle me prend dans ses bras et me dit combien elle est contente de passer une semaine avec moi.
Et je suis heureux !


p.s.: L. vient de me rappeler que leben signifie vie en Allemand

vendredi 14 janvier 2011

#3

Le pied ! Une exclamation de jouissance dans la langue qui m’a occupé depuis l’institution maternelle, celle qui n’est pas ma mère. Ou celle qui est ma deuxième mère. La seconde d’une seconde.
Une tension me rapporte au pied. A cette partie du corps qui marche et écrit (Ibn ‘Arabi disait qu’on parlait avec la main et qu’on écrivait avec le pied). Tension qui se performe dans le tact avant la vue. Au-delà ou en-deçà de toute interprétation psychologique, c’est l’effet du mot qui se heurte au bloc d’une autre langue et y laisse une fêlure qui ne cesse de se propager. Un coup de pied.
Psychologiquement, mon fétichisme le plus intime qui me lie à mon sexe, (Pied, RiJL, R.J.L., RaJeL, RaJouL (homme)) par une série de traductions de sens ou de sons. Par une série de trahisons et d’incestes. De traductions incestueuses. De rapports à mes mères feintes par le biais d’autres mères. Et ce mot devient géant, un monstre, une chose, un anneau m’entourant et me déversant ses charges électriques à la vue de chaque pied (grec ou égyptien, il est intéressant d’avoir lié à des civilisations, donc sédentaires, qui sont concernées par les mains plutôt, le genre de pied).
Mais passé le stade des sentiments, des pulsions inconscientes, des refoulements et des dénégations. Reste le mot, la chose, le monstre : Le pied ! Toujours à donner ses coups à la langue. Toujours à me donner la jouissance d’écrire de réécrire et de pendre la langue à la langue. Et une langue pendue ne parle pas, elle s’écrit à coups de pied.

jeudi 6 janvier 2011

#2

(à Maurice Blanchot)

Il jouait dans la cour derrière la maison. Il vit une dinde suivie, dans un ordre militaire, par ses poussins. Le dernier poussin n’avait pas de plumes sur sa gorge. Il s’approcha de lui et le prît dans ses mains pour le caresser. La horde était là : son cousin, et ses deux cousines. L’une s’approche de lui et murmure : « Misère ! Tu as touché le poussin malade ! Tu vas mourir cette nuit ! »… Puis, avec une voix plus aigue et tranchante : « Un enfant avant toi avait touché ce poussin. Tu sais ce qui lui est arrivé ? Eh bien le soir ; à minuit, il a perdu sa chair. Elle tombait par terre alors qu’il criait de douleur jusqu’à ce que mort s’en est suivie…Et tu sais quoi ? Il va t’arriver la même chose ! » L’enfant, terrorisé, courut à la maison… Dans la cuisine, il trouva la grande cousine. « Celle-là ne peut pas me mentir ! » se dit-il. Alors il lui raconta ce qui est arrivé.
« Tu as touché le poussin sans plumes sur la gorge ! Malédiction ! Il a le cancer ! » Ce dernier mot sonnait dans sa tête comme un glas. Il attendit alors minuit en sanglots. Peut-être qu’il s’est endormi avant. Le lendemain, c’était déjà quelqu’un d’autre.

#1

Qui m’a vu naître ?
Qui me verra mourir ?


J’étais assez naïf, je l’avoue, pour me poser ces questions.

Les arbres défilent devant mes yeux. Je regarde.
-« J’espère que l’on garderait un souvenir de moi tout de même » Je le dis à mon fils qui conduisait

C’est qui « on » ? Quelle mémoire abritera mes traces ? Les traces de mon corps, de ma voix, de ce que je me raconte parfois, de mes rêves, de mes hallucinations ?
-« Je crois que tu laisses une bonne impression chez les gens » répondit-il, les yeux fixés devant lui.
« Bonne impression » dit-il. Et je me vois déjà comme une imprimerie. Ou plutôt une machine d’impression agençant les lettres et formant des phrases, des récits, des textes plus ou moins longs, qui défilent comme ces arbres s’inclinant maintenant avec l’accélération de la voiture…

Après deux jours je relis ce que j’ai écrit ci-dessus. Des images réapparaissent. Je commence à douter de cette « version des faits ». Les mêmes arbres qui défilent, d’un vert plus foncé cette fois sous un ciel de plomb. Une discussion autour de la littérature avec mes deux fils. La littérature et la mort. Une ville s’approche. Et avec elle l’appel mégaphoné à la prière du crépuscule.
-« J’espère que l’on garderait un souvenir de moi. »
Ai-je dis un souvenir ? Ou plutôt une trace ? Ou pensée ?
-« Je crois que tu laisses une bonne impression chez les gens.»
Impression ? Il a dit ça en quelle langue ? Il y a juste deux, ce mot m’a fait plus que rêver. Il m’a transformé en machine et a disloqué mon corps. Et le voilà qui s’envole maintenant (quel maintenant ? rien ne tient plus rien), me laissant hésitant devant les tours que me joue la faculté traductrice de ma mémoire.
-« Je le crois aussi » Une voix de derrière…
Des insectes s’écrasent sur le pare-brise puis s’essuient en une indifférence mécanique. J’essaye d’imaginer dieu comme un témoin derrière la limite de ma propre mort. Du brouillard. Mais voici les lumières jaunes pâles de la cité et ses mûrs qui limitant, enfin, notre vision, rationalisent nos pensées.

-« Qu’est-ce qu’on mange ce soir ? »…

Prologue

Pourquoi devrais-je justifier mon nom ? Il est temps de le recracher ! Ou de le léguer à une fleur comme Narcisse fît. Et il est temps de laisser jaillir de moi toutes les voix, les spectres, les odeurs, les vibrations que mon nom avait longtemps enfermés dans sa forteresse. A vrai dire ce n’était pas une forteresse. Ce n’était même pas une demeure bâtie de mûrs et de portes. Cela était juste un seuil tracé dans le vide autour de toutes ces choses prisonnières. Une sorte de frontière invisible qui terrorisait toute action, tout mouvement, et toute existence.

Et pourtant ! Et pourtant il arrive un temps où quelque chose bouge. Quelque chose arrive à se déstabiliser, par malice ou par mégarde, bousculant tout cet ordre irréel et annonçant la catastrophe du nom propre. Et voici les anciens génies libérés ! Et voici que moi, désormais sans nom, voué à une dislocation amoureuse sans objet. Une débauche !

Maintenant, je cède mon corps et ma voix à ce qui m’arrive. A ceux qui auront le plaisir ou la peine de m’aimer sans m’appeler, sans me faire porter le poids de mon nom.