samedi 12 février 2011

#8

On a « découvert » ma myopie quand j’avais sept ans. Un médecin vint à l’école pour nous examiner, comme on examine le bétail avant la fête du sacrifice. Nous sautillions, petits agneaux, excités à l’idée de déchiffrer les hiéroglyphes sur le tableau dressé au fond de la classe transformée ce jour là en bloc de visites médicales. Le géant blanc me mît sur un tabouret, et me demanda de regarder devant… Je n’arrivais pas à trouver de quel côté était l’ouverture des petits E renversés. Je ne voyais que des points noirs éparpillés.
Commença alors une nouvelle existence pour moi. Je voyais le monde désormais à travers les lunettes. Je me souviens de premiers moments (des premiers jours). Une terre convexe. Des murs qui se balancent. Des proches qui s’éloignent. Et cette impression angoissante et jouissive en même temps, que tout est plus petit qu’auparavant.
Commença aussi un nouveau rapport aux autres. J’étais devenu « le porteur de lunettes ». Cet être différent : Cyborg. Forcément intelligent ou studieux. Forcément timide. Forcément introverti et maladroit.
Les jours passèrent et la prothèse devint une partie de moi. Devint moi-même. Le geste de porter les lunettes à mes yeux au réveil. Ou celui de les ajuster sur mon nez. Ne sont maintenant que des réflexes naturels (naturalisés), comme manger ou cracher.
Il m’arrive cependant d’enlever mes lunettes parfois, et de regarder le monde autrement : peint à coups de pinceau plus vagues, plus mystiques. Des visages qui ressemblent plus à des crânes. Et des taches jaunes et blanches en guise de lumières de ville.

1 commentaire:

  1. "When I was seven I counted four and forty trees
    That stood before my window,
    Which may or may not be relevant
    And symbolise the maddening factors
    That madden both watchers and actors.
    I've said my piece:count or go mad.
    The new asylum on the hill
    Leers down the valley like a fool
    Waiting and watching for your fingers to fail
    To keep count of the stiles
    The thousand sheep
    Leap over to my criss-cross rhythms.
    I've said my piece."Dylan Thomas

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